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« En Afrique, le risque politique demeure trop souvent l’un des principaux aléas économiques »

Il y a quelques semaines encore, le Sénégal collectionnait les épithètes louangeuses. On vantait les perspectives mirobolantes de ce chouchou des bailleurs de fonds internationaux, avec une croissance attendue à 8,8 % en 2024, selon le Fonds monétaire international. De quoi caracoler dans le peloton de tête des économies les plus performantes de la planète.
Malgré les soubresauts des dernières années autour du sort réservé à l’opposant Ousmane Sonko, le pays d’Afrique de l’Ouest passait aussi pour une démocratie relativement stable et résiliente à l’échelle du continent. Encore plus depuis que le président Macky Sall avait indiqué, en juillet 2023, qu’il renonçait à briguer un troisième mandat.
Et puis, badaboum ! En annonçant, début février, l’ajournement de l’élection présidentielle prévue trois semaines plus tard, le même Macky Sall a ajouté un chapitre, bien moins consensuel, à la success story. Certes, le report, fixé au 15 décembre, a été entre-temps invalidé par le Conseil constitutionnel. Certes, le président s’est finalement engagé à organiser le scrutin « dans les meilleurs délais ». Mais l’épisode devrait laisser des traces. Il rappelle surtout qu’au Sénégal comme ailleurs en Afrique, le risque politique demeure trop souvent l’un des principaux aléas économiques.
Les tensions et les violences qui ont secoué le pays pendant plusieurs jours ont fait trois morts parmi les manifestants. Elles ont aussi infligé des dégâts plus ou moins visibles à l’économie. Des commerçants ont été forcés de baisser le rideau, des taxis n’ont pas pu circuler, des hôteliers ont encaissé des annulations.
S’y ajoute le coût occasionné par les différentes coupures des données mobiles dans un pays où 97 % de la population se connecte à Internet avec son téléphone. La facture d’une heure de censure numérique s’élèverait à plus de 332 000 dollars (307 000 euros), selon l’organisation NetBlocks, qui constate que les autorités sénégalaises sont désormais promptes à verrouiller la Toile à chaque poussée de fièvre.
Moins chiffrable est la perte de confiance induite par les revirements du pouvoir. Pour les investisseurs étrangers et l’ensemble des opérateurs privés, la prévisibilité est une vertu cardinale. Dès lors, comment se projeter sereinement quand un scrutin en apparence balisé menace au tout dernier moment de se transformer en champ de mines, plongeant le pays dans l’inconnu et attisant le mécontentement social ?
Les vicissitudes politiques ne sont pas l’apanage du continent africain. Il suffit de regarder vers les Etats-Unis, où se prépare une étrange élection opposant un président octogénaire, Joe Biden, jugé trop âgé par ses concitoyens, et son prédécesseur, Donald Trump, aux prises avec de multiples poursuites judiciaires.
Reste qu’en Afrique, plus de soixante ans après les indépendances, le tableau a rarement paru aussi sombre. Du Sahel au Soudan, de la Tunisie à l’Ethiopie, les troubles politiques compromettent l’amélioration des conditions de vie des populations. Un constat dont le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki, s’est fait l’écho à l’ouverture du sommet de l’organisation panafricaine, samedi 17 février.
« Le terrorisme déstructure certains de nos Etats » ; « les changements non constitutionnels de gouvernement se sont multipliés » ; « les élections sont devenues, par l’ampleur de leurs irrégularités, des facteurs d’approfondissement de crises », selon l’inventaire dressé par le responsable tchadien. Tous ces éléments, constatait-il déjà trois jours plus tôt, « menacent gravement de ternissement les signes d’émergence de l’Afrique dont nous sommes fiers ».
Les pays africains ont déjà leur lot de difficultés à gérer après les chocs du Covid-19, de la guerre en Ukraine et de l’envolée des taux d’intérêt américains. Sans conteste, ces crises importées ont pesé sur les perspectives économiques et nourri l’instabilité. Mais les problèmes de gouvernance, qui ne peuvent être résolus que par les Etats eux-mêmes, hypothèquent tout autant le développement du continent.
Marie de Vergès
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